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Petite histoire du « Défense d’afficher »

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L’affichage public est sans doute – avec le crieur – le plus vieux moyen d’information du monde. Dès les premières heures de la démocratie athénienne et de la res publica romaine, l’affichage des informations légales et politiques a permis au peuple d’être tenu au courant des lois en vigueur, mais aussi des projets de loi et de ce qu’il se passait dans sa Cité.

Et pourtant, ce mode de communication n’a pas toujours été le bienvenu en France et dans la capitale. Retournons quelques siècles en arrière pour comprendre comment nous en sommes venus à trouver des « Défense d’afficher » aux coins de nos rues…

Inscription défense d'afficher

Inscription « défense d’afficher » au niveau de la rue de l’École de Médecine, dans le 6e arrondissement.

Placards vs. affichage officiel

En France, c’est François 1er qui fixe de manière durable l’affichage public dans les moeurs. Dans un édit datant de novembre 1539, il indique que ses ordonnances « après avoir été publiées à son de trompe et cri public seront attachées à un tableau, écrites sur des parchemins en grosses lettres, dans les 16 quartiers de la Ville de Paris et dans les faubourgs, dans les lieux les plus éminents, afin que chacun puisse les connaître et les entendre »Cette systématisation de l’affichage public ne concerne évidemment que les informations officielles et a sans doute été instituée pour contrer les affichages sauvages de “placards”, dont la parole était bien souvent divergente de celle du roi.

En effet, quelques années plus tôt, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, l’affaire des placards éclatait. En cette nuit d’automne, des centaines d’affiches anti-cléricales avaient été collées dans les rues de Paris et du royaume, dit-on, jusqu’à sur la porte de la chambre royale de François 1er, au château d’Amboise. Choqué par ce « crime de lèse-majesté », François 1er avait ordonné l’arrestation et l’exécution de six suspects, dont l’un des amis de Jean Calvin, pasteur emblématique de la Réforme protestante. On imagine aisément le retentissement qu’à pu avoir l’affaire en cette trouble période de Réforme et pourquoi François 1er a souhaité, lui-aussi, faire valoir son droit à l’affichage public « officiel ».

Le premier “défense d’afficher” révolutionnaire

Les siècles passants, l’affichage d’informations dans les rues devient une habitude, aussi bien pour le roi que pour le peuple, et s’établit comme le meilleur moyen de se tenir au courant de l’actualité, mais aussi de faire connaître son opinion, en publiant des pamphlets et des avis s’éloignant de la parole officielle. Il faudra pourtant attendre la Révolution française pour que soit à nouveau libéré l’affichage public, devenu une véritable arme politique. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen adoptée en août 1789 stipule en effet que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement. »

Ainsi, les premières années de la révolution voient l’affichage libre s’amplifier. Pourtant, c‘est encore une fois pour contrer les publications divergentes que les autorités révolutionnaires désignent, en mai 1791, « des lieux exclusivement destinés à recevoir les affiches des lois et des actes de l’autorité publique » précisant qu’aucun « citoyen ne pourra faire des affiches particulières dans lesdits lieux”. Des plaques en ardoise sont installées un peu partout dans la ville de Paris pour informer le peuple des décisions des autorités révolutionnaires, mais aussi des (nombreuses) condamnations à mort des citoyens. De manière un peu détournée, le premier « défense d’afficher » venait de voir le jour. Si l’inscription « Loix et actes de l’autorité publique » qui ornaient ces plaques est souvent à peine visible, effacée au fil des siècles, on peut encore en trouver quelques exemplaires dans les rues de Paris :

plaque "Loix et Actes de l'Autorité Publique"

Une plaque « Loix et Actes de l’Autorité Publique », encore visible sur la façade de l’ancien Musée de la Marine, place de la Concorde. © Les Egarements Monumentaux

Plaque loix et actes de l'autorité publique

Une plaque « Loix et Actes de l’Autorité Publique », sur la façade de l’Église St-Philippe-du-Roule. © Les Egarements Monumentaux

Le XIXe siècle, entre liberté d’opinion et interdiction d’afficher

La liberté de publication sera finalement de courte durée et, dès la fin de l’année 1792, les lois réduisant, puis interdisant, le droit d’afficher des informations politiques sont remises au goût du jour. La loi du 10 décembre 1830 interdit par exemple toute affiche “contenant des nouvelles politiques ou traitant d’objets politiques” et impose aux afficheurs de se déclarer aux autorités municipales.

Il faudra attendre la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour que les affiches politiques puissent à nouveau être librement placardées sur les murs des villes de France. En effet, cette loi abroge tous les textes antérieurs, dont celui de 1830, et offre une plus grande liberté aux afficheurs particuliers qui peuvent légalement afficher certaines de leurs publicités et de leurs opinions. En outre, elle reprend les prérogatives que l’autorité publique s’était octroyée au tournant de la révolution, puisque des emplacements sont toujours réservés à l’affichage administratif, le plus souvent sur des bâtiments publics. C’est à cet effet que les premiers “Défense d’afficher – Loi du 29 juillet 1881” sont installés sur les édifices publics dès la promulgation de la loi.

Si d’autres lois votées tout au long du XXe siècle viendront protéger les lieux naturels et monuments historiques, la loi sur la liberté de la presse ne vise pas la protection d’immeubles particuliers ou du cadre de vie. Aussi jolies soient-elles (surtout lorsqu’elle sont détournées), les fameuses inscriptions “Défense d’afficher” n’ont donc, lorsqu’elles sont accompagnées de leur célèbre sous-titre “loi du 21 juillet 1881” ailleurs que sur un bâtiment public, aucune valeur juridique. D’autant plus qu’il est interdit d’afficher quoi que ce soit sur des supports autres que ceux prévus par la municipalité… peu importe la présence d’un « défense d’afficher » ou non. À bon entendeur !

Inscription défense d'afficher

Il est peu probable que cette inscription soit légalement valable…


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